l’île de Cheju – Yoshioka Minoru

C’est dans l’île de Cheju, en Corée, que j’accueillis l’annonce de la fin de la guerre. Ce fut pour moi, sincèrement, un grand soulagement. Il en fut sans doute de même pour la plupart des gens. Cela faisait quatre mois que j’avais quitté la Mandchourie, où les iris étaient encore en fleurs. Cheju semblait être le dernier poste avancé de l’empire japonais. Si les combats avaient duré encore un mois, les montagnes de Cheju auraient été mon tombeau. À l’inverse, cette île était devenue comme une deuxième patrie qui me protégea de la mort. Depuis mon arrivée sur l’ile, je transportais à cheval des munitions et des vivres dans la montagne. À force, les chevaux s’écroulaient d’épuisement. On les tuait alors, parce qu’on manquait de nourriture. La viande des chevaux qui ont été privés de fourrage était sans graisse et insipide. Lorsqu’on avait un peu de temps libre, on se reposait à flanc de montagnes et on cueillait des fraises des bois. On pouvait voir la mer teintée par le couchant encercler notre île et au milieu des vagues scintillantes flotter l’ile verte de Mala. De l’autre côté, les sommets s’empilaient et au fond se dressait le célèbre mont Hanra. Ici et là s’alignaient des murets à l’ombre desquels avaient été érigées les tombes des chevaux, en pierres grossières et ornées de fleurs sauvages. Pour les humains, il existe des inscriptions funéraires telles que « Ci-gît … mort loin de sa patrie », mais rien de tel pour les chevaux morts loin de chez eux. Ils doivent être à présent devenus des squelettes parfaitement blanchis.

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