• Dans les formes

    Si d’aucuns veulent savoir pourquoi nous avons péri,

    Dites-leur: parce que nos pères ont menti.

    Epitaphes de la Guerre – Rudyard Kipling.

    Anthologie bilingue de la poésie anglaise. Pléiade. Gallimard.

  • Avant l’attaque

    Lorsqu’on marche à la mort, on chante,

    Avant, on aurait pu pleurer;

    Rien n’est plus affreux que l’attente

    D’une attaque. On va mieux après.

    Sur la neige sale, parmi

    Les trous des mines précédentes,

    Une autre… Non, c’est pour l’ami…

    Encore, encore indifférente,

    La mort m’épargne. A quand mon tour?

    Je suis le gibier du manège,

    L’an quarante et un est trop lourd!

    Le soldat gèle dans la neige…

    On dirait que je suis l’aimant,

    Que, les mines, je les attire.

    Qui râle? Ah! c’est le lieutenant!

    La mort passe encor, je respire.

    Et sans attendre d’autres coups,

    A travers les tranchées, la haine

    A la baïonnette nous mène,

    Avec sa pointe dans nos cous.

    Mais le combat cesse, aussitôt

    En buvant un alcool figé,

    J’ai curé avec mon couteau,

    Mes ongles d’un sang étranger.

    1942

    Simon Goudzenko (1922-1953)

  • Qui qu’à des poux – Paul Verlet

    C’est nous les boboss’ qui dégottent,

    Les bouff-les-gaz, les pouss’-la-crotte,

    Aux trogn’ de braise et d’encensoir :

    Tant qu’y’a du pinard, y’a d’l’espoir!

               Qui qu’a des poux?

                     C’est nous!


    On a des groll’ en port’ cochère,

    Un froc plein d’pièc’ sur le derrière;

    On est des pot du populo,

    On est d’où qu’c’est pas rigolo.

                Qui qu’a des poux?

                       C’est nous!


    Ça vous dégoût’, ça vous embête,

    Qu’on ait des totos, des bébêtes?

    Y’a tant d’hos’ qui nous embêt’, nous!

    Faut choisir : les Boch’ ou nos poux!

                 Qui qu’a des poux?

                       C’est nous!


    On pue les pieds et la misère,

    On fum’ sa grosse, on crach’ par terre,

    On est tatoué sur le buffet,

    Quand ça nous chante, on lâche un pet…

                 Qui qu’a des poux?

                      C’est nous!


    Hé! là! I’grand blond qu’a l’air d’un’ gauffre,

    Qu’a des manièr’, qui débin’ Joffre,

    Qu’a un tutu sur ton petard,

    Frais’ de crevé, frais’ de vieillard !….

                          Qui qu’a des poux?

                                   C’est nous!


    On t’gên’? Sûr, on n’a pas des gueules

    A voyager dans les dam’ seules;

    Faut que j’t’avoue quéq’ chos’ tout bas :

    On a du poil où qu’t’en as pas…

                        Qui qu’a des poux?

                                   C’est nous!


    Merfy, mars 1915


    De la boue sous le ciel, esquisses d’un blessé, Paul Verlet. 


    auteur découvert grâce à JL.

  • Jude Stéphan

    Pauvres humains roulant leur cycle d’enfer: le petit jésus • les gels • le verglas • les Suicides • les dimanches • les Votes • les Nuées • les Crues • les masques & crêpes • la Pêche • les derniers buis • le Pape! • le Travail • les accidents • les Règles • le débarquement • les plages • le Tour • la Vierge • la Bastille • la Canicule • les Lits d’amour • la Rentrée • la Chasse • les marrons • les Tempêtes • tous les Défunts • la Vignette • la Foire • le Beaujolais • les Lunes • les Fèces • les brumes • les Feuilles • la Neige • les Dindes • les Glas • les Gares • le Dakar • les Mariées avec balai • le petit jésus •

    Jude Stefan, Povrésies ou 65 poèmes autant d’années, Gallimard, 1997, p. 11.

  • Festival de Fiumalbo

    FESTIVAL DE FIUMALBO

    parole sui muri” / “mots sur les murs

    Entre le 8 et le 18 août 1967 a eu lieu une rencontre de jeunes artistes de l’avant-garde italienne et européenne à Fiumalbo, un
    petit village très conservateur et très catholique près de Modène,
    ainsi qu’une exposition temporaire dans les rues, avec ce qu’on
    n’appelait pas encore à l’époque des performances. Cela a pu
    avoir lieu parce que le parti de droite à la dernière élection locale
    s’était divisé, et que la gauche était passée. Le nouveau maire,
    Mario Molinari, était communiste et un ami des poètes et des
    artistes. Il a donc décidé, avec quelques amis italiens, Claudio
    Parmiggiani, Corrado Costa et Adriano Spatola ainsi qu’avec
    le poète français Henri Chopin d’organiser cette rencontre. Le
    maire s’attendait à la venue d’une trentaine d’artistes et à une
    cinquantaine d’œuvres. Mais le 6 et le 7 août, ce sont plus de 100
    artistes qui sont arrivés dans le village et qui ont commencé à
    montrer leurs œuvres : des affiches de toutes sortes, de la poésie concrète, de l’art pop ou cinétique. En même temps, du balcon de l’Hôtel de Ville, un haut-parleur diffusait des audio-poèmes d’Henri Chopin et des poèmes phonétiques d’Arrigo Lora-Totino dans un village plutôt habitué à entendre les cloches de
    l’église. Spatola marchait dans les rues comme un homme sand-
    wich, avec écrit des deux côtés sur lui : « Je suis un poème ». Un
    autre, au centre de la place S. Bartolomeo, avait posé une chaise
    au milieu d’un cercle peint en blanc et délivrait des certificats
    à quiconque était prêt à s’y asseoir un moment. Jean-François
    Bory et ses amis Julien Blaine et Jean-Claude Moineau ont rejoué
    les frères Ripolin, en écrivant l’un sur le dos de l’autre « La
    poesia è… ». Jean-François Bory a aussi peint des poèmes sur les
    murs. Ketty La Rocca a créé de faux panneaux de signalisation,
    comme « IL SENSO DI RESPONSABILITA », une direction
    qui indiquait « le sens des responsabilités ». Kenelm Cox a lancé
    un poème-montgolfière dans le ciel. Beaucoup de manifestes,
    dont un de John Furnival. Les troubles ont commencé quand
    un artiste a accroché près de l’église une affiche où l’on pouvait
    lire : « Ne m’appelez pas catholique s’il vous plaît ». Les policiers
    de Modène, alertés, convoquèrent le maire, mais protégèrent
    aussi les artistes contre une partie de la population. Il faut se
    rappeler qu’à l’époque l’avant-garde en Italie se complaisait dans
    des discussions théoriques. L’idée de ce festival était de mettre
    en contact, sans intermédiaire, l’art d’avant-garde et le public
    non averti. Parmi les participants, outre les organisateurs, citons
    Carlo Belloli, Alain Arias Misson, Jean-François Bory, Julien
    Blaine, Ugo Carrega, Mimmo Rotella, Paul de Vree, John Furni-
    val, Gianni Bertini, Nela Arias Misson, Anna Oberto, Sarenco,
    Martino Oberto, Aubertin, Mario Diacono, Lucia Marcucci,
    Ketty La Rocca, Timm Ulrichs, Gianfranco Baruchello, Ladis-
    lav Novak, Jokin Diez, Gianni Sassi, Franco Vaccari, Mauri-
    zio Nanucci, Arrigo Lora Totino, Eugenio Miccini, Luciano
    Ori, Lamberto Pignotti, Bruno Munari, Heinz Gappmayr, [vo
    Vroom, Vincenzo Accame, Franz Mon, Jiri Valoch, Herman
    De Vries, Marcel Alocco, Emilio Isgro, Achille Bonito Oliva,
    Kenelm Cox, Guido Ziveri. Le maire ne fut pas réélu, et il n’y
    eut pas de festival l’année suivante.

    Jacques Donguy. Jean-François Bory, une monographie. Presses du réel. 2020.