Auteur/autrice : tertiaire

  • INVENTAIRE – Günther Eich


    Ceci est mon bonnet,
    ceci est mon manteau,
    voici de quoi me raser
    dans le sac en tissu.
    Boîte de conserve :
    mon assiette, mon bol,
    dans le fer-blanc j’ai
    gravé le nom.
    Gravé avec, là, ce
    clou précieux
    que j’abrite
    des yeux avides.
    Dans le sac à pain il y a
    une paire de chaussettes en laine
    et des choses que je
    ne révèle à personne,
    et la nuit pour ma tête
    ça sert d’oreiller.
    Le carton, là, est
    entre moi et la terre.


    INVENTUR


    Dies ist meine Mütze,
    dies ist mein Mantel,
    hier mein Rasierzeug
    im Beutel aus Leinen.
    Konservenbüchse :
    Mein Teller, mein Becher,
    ich hab in das Weißblech
    den Namen geritzt.
    La mine de crayon
    est ce que j’aime le plus :
    le jour elle m’écrit les vers
    auxquels la nuit j’ai songé.
    Ceci est mon carnet,
    ceci est ma toile de tente,
    ceci est ma serviette,
    ceci est mon fil.
    Geritzt hier mit diesem
    kostbaren Nagel,
    den vor begehrlichen
    Augen ich berge.
    Im Brotbeutel sind
    ein Paar wollene Socken
    und einiges, was ich
    niemand verrate,
    so dient es als Kissen
    nachts meinem Kopf.
    Die Pappe hier liegt
    zwischen mir und der Erde.
    Die Bleistiftmine
    lieb ich am meisten :
    Tags schreibt sie mir Verse,
    die nachts ich erdacht.
    Dies ist mein Notizbuch,
    dies meine Zeltbahn,
    dies ist mein Handtuch,
    dies ist mein Zwirn.

    traduits par Hans Hartje et Claude Mouchard

    https://po-et-sie.fr/wp-content/uploads/2018/08/32_1985_p3_17.pdf

  • Dans les formes

    Si d’aucuns veulent savoir pourquoi nous avons péri,

    Dites-leur: parce que nos pères ont menti.

    Epitaphes de la Guerre – Rudyard Kipling.

    Anthologie bilingue de la poésie anglaise. Pléiade. Gallimard.

  • Avant l’attaque

    Lorsqu’on marche à la mort, on chante,

    Avant, on aurait pu pleurer;

    Rien n’est plus affreux que l’attente

    D’une attaque. On va mieux après.

    Sur la neige sale, parmi

    Les trous des mines précédentes,

    Une autre… Non, c’est pour l’ami…

    Encore, encore indifférente,

    La mort m’épargne. A quand mon tour?

    Je suis le gibier du manège,

    L’an quarante et un est trop lourd!

    Le soldat gèle dans la neige…

    On dirait que je suis l’aimant,

    Que, les mines, je les attire.

    Qui râle? Ah! c’est le lieutenant!

    La mort passe encor, je respire.

    Et sans attendre d’autres coups,

    A travers les tranchées, la haine

    A la baïonnette nous mène,

    Avec sa pointe dans nos cous.

    Mais le combat cesse, aussitôt

    En buvant un alcool figé,

    J’ai curé avec mon couteau,

    Mes ongles d’un sang étranger.

    1942

    Simon Goudzenko (1922-1953)

  • Qui qu’à des poux – Paul Verlet

    C’est nous les boboss’ qui dégottent,

    Les bouff-les-gaz, les pouss’-la-crotte,

    Aux trogn’ de braise et d’encensoir :

    Tant qu’y’a du pinard, y’a d’l’espoir!

               Qui qu’a des poux?

                     C’est nous!


    On a des groll’ en port’ cochère,

    Un froc plein d’pièc’ sur le derrière;

    On est des pot du populo,

    On est d’où qu’c’est pas rigolo.

                Qui qu’a des poux?

                       C’est nous!


    Ça vous dégoût’, ça vous embête,

    Qu’on ait des totos, des bébêtes?

    Y’a tant d’hos’ qui nous embêt’, nous!

    Faut choisir : les Boch’ ou nos poux!

                 Qui qu’a des poux?

                       C’est nous!


    On pue les pieds et la misère,

    On fum’ sa grosse, on crach’ par terre,

    On est tatoué sur le buffet,

    Quand ça nous chante, on lâche un pet…

                 Qui qu’a des poux?

                      C’est nous!


    Hé! là! I’grand blond qu’a l’air d’un’ gauffre,

    Qu’a des manièr’, qui débin’ Joffre,

    Qu’a un tutu sur ton petard,

    Frais’ de crevé, frais’ de vieillard !….

                          Qui qu’a des poux?

                                   C’est nous!


    On t’gên’? Sûr, on n’a pas des gueules

    A voyager dans les dam’ seules;

    Faut que j’t’avoue quéq’ chos’ tout bas :

    On a du poil où qu’t’en as pas…

                        Qui qu’a des poux?

                                   C’est nous!


    Merfy, mars 1915


    De la boue sous le ciel, esquisses d’un blessé, Paul Verlet. 


    auteur découvert grâce à JL.

  • Jude Stéphan

    Pauvres humains roulant leur cycle d’enfer: le petit jésus • les gels • le verglas • les Suicides • les dimanches • les Votes • les Nuées • les Crues • les masques & crêpes • la Pêche • les derniers buis • le Pape! • le Travail • les accidents • les Règles • le débarquement • les plages • le Tour • la Vierge • la Bastille • la Canicule • les Lits d’amour • la Rentrée • la Chasse • les marrons • les Tempêtes • tous les Défunts • la Vignette • la Foire • le Beaujolais • les Lunes • les Fèces • les brumes • les Feuilles • la Neige • les Dindes • les Glas • les Gares • le Dakar • les Mariées avec balai • le petit jésus •

    Jude Stefan, Povrésies ou 65 poèmes autant d’années, Gallimard, 1997, p. 11.