Catégorie : General

  • de la violence (lettre de Georg Buchner à sa famille)

     

    Le Frankfurter Wachensturm (« attaque de la garde de Francfort »), du 3 avril 1833, est la tentative d’une cinquantaine de militants de déclencher une révolution en Allemagne par un raid sur la garde principale et sur la garde de Konstable de Francfort-sur-le-Main, puis par la prise de contrôle du Parlement confédéral.

    Lettre de Georg Büchner à sa famille.

    Strasbourg, le 5 avril 1833.

    On reproche aux jeunes gens d’user de la violence. Mais ne sommes-nous pas dans un état de violence perpétuelle ? Parce que nous sommes nés et que nous avons grandi dans un cachot, nous ne remarquons plus la fosse où nous sommes, avec des fers aux mains et aux pieds, et un bâillon sur la bouche. Qu’appelez-vous donc légalité ? Une loi qui fait de la grande masse des citoyens un bétail bon pour la corvée afin de satisfaire les besoins artificiels d’une minorité insignifiante et corrompue ? Et cette loi que soutiennent la brutalité d’un pouvoir militaire et la roublardise imbécile de ses agents, cette loi est une violence brutale et perpétuelle faite au droit et à la saine raison et je combattrai contre elle, en parole et en action, où je pourrai.

    Note biographique:

    En mars 1834, à Gießen, Büchner, agé de 20 ans, co-fonde une association secrète révolutionnaire : la Société des droits de l’Homme (Gesellschaft für Menschenrechte).

    Avec le pasteur Weidig, il entreprend en juillet, la rédaction d’un tract révolutionnaire, Le Messager hessois (Der Hessische Landbote), destiné à susciter le soulèvement des populations paysannes, avec le mot d’ordre : « Friede den Hütten, Krieg den Palästen ! » (« Paix aux chaumières, guerre aux palais ! »).

    À partir d’octobre 1834, Büchner travaille à La Mort de Danton. Il écrit de nombreux articles polémiques et satiriques, publiés dans Le Messager hessois, qui lui vaudront les foudres des autorités et de la censure. Le pasteur Weidig est arrêté, torturé et meurt emprisonné.

    En 1835, mis sous mandat d’arrêt pour trahison, Büchner s’enfuit pour se soustraire à la justice.

    Fin 1836, il déménage à Zurich où on lui propose un poste de professeur adjoint à la faculté de médecine. Également privat-docent d’histoire naturelle à l’université, il se consacre à ses travaux scientifiques et littéraires. Il est, de plus, en contact avec d’autres réfugiés politiques.

    En février 1837, il tombe gravement malade du typhus, il revoit sa fiancée Wilhelmine Jäglé une dernière fois le 17 février, et meurt, le 19, à l’âge de 23 ans.

    Piqué à https://artdeboutblog.wordpress.com/2018/01/26/de-la-violence-lettre-de-georg-buchner-a-sa-famille/

  • Depuis le noir profond – Sean Bonney

    Sean Bonney
    Depuis le noir profond

    Le disque violent au centre du ciel comme les pièces dans ma poche
    irradient la même énergie d’enfer. Je le sais parce que ça fait cinq jours
    que je suis réveillé. Je sais que ça fait cinq jours que je suis réveillé
    parce que quand je suis sorti sur mon balcon ce matin tous les
    immeubles de la ville se sont effondrés. Il me semblait qu’il y avait de
    quoi s’inquiéter, donc je me suis mis à écrire mon testament. Allons-y.
    Mes tasses de café et ma machine à écrire je les lègue à, chais pas, celui
    qui gueulera le plus fort. Ma collection de bières vides je la lègue à mon
    proprio. Ma bibliothèque je la lègue aux sdf de Kotbusser Tor. Ma
    carte bleue pareil. Mon indécision sexuelle je la garde pour moi. Mon
    amour je le lègue aux suicidés. Ma toxicomanie je la lègue aux flics,
    qu’ils flétrissent mutent et meurent. Ma haine je la garde contre mon
    cœur. Mon cœur je le lègue au centre de la terre. Ma peine. Argh. Ma
    peine, qui fait la taille de la petite île raciste sur laquelle je suis né, je la
    comprime, je la transmute en quelque chose comme la joie sauvage et
    collectivement inhumaine des martinets qui tournent autour de la ville
    avec une frénésie plus sauvage que, enfin bref. Le cœur c’est tellement
    nul comme métaphore. Et l’idée de l’enfouir sous la terre si pathétique
    quand je pourrais tout aussi facilement le lancer au centre de la grande
    tache rouge de Jupiter. Par exemple. (…)
    Ma petite île raciste je la lègue aux monstres et aux poisons. La
    dimension fantôme je la lègue à mes amis les plus chers. Mes nœuds et
    mes tumeurs je les lègue à ceux qui voudraient former un nouveau
    gouvernement, qu’ils comprennent juste ce qu’un système sensoriel
    peut avoir de petit, d’enragé et perdu une fois détourné. Ah, fait chier.
    Je lègue l’expression de mon visage à mes ennemis. Je lègue la grande
    tache rouge de Jupiter aux chômeurs, je suis sûr qu’ils sauront quoi en
    faire. Nique mon cœur. Résiste à la mort par l’eau. Par le feu et la
    corde aussi. J’ai peur de rien. Putain ce que je vous aime.

    in Senna Hoy 2
  • Matériau du dedans / Tatsumi Hijikata

    « Cerné de nus fulgurants, le créateur de danse s’émacie furieusement. A immerger ses côtes décharnées dans le canal des égouts, ma poitrine s’est trouvée encombrée des épaves de l’époque. Pour éviter qu’elle ne rouille, je l’ai huilée copieusement, avant de m’atteler à ma tâche pour des journées infinies. Loin de cette poitrine et de sa douloureuse convalescence, je m’offrais des bains de soleil dans les théâtres. Dans un dépôt mortuaire sous surveillance à l’intérieur d’étagères, le regard s’est insinué qui se porte sur la génération actuelle, celle dont l’âme ne saurait vivre en aucun cas des seuls avoirs reçus en héritage. Arpentant méticuleusement Tokyo – où elle n’est pas forcément éteinte, cette génération qui, des mains a conçu les yeux – j’aboutis au matériau. Lequel je n’avais plus qu’à ramasser parmi une jeunesse occupée ici à frotter dans un atelier de galvanisation, accroupie là bas dans un garage. Je regarde les mains. Il s’en échappe un mouvement de particules mal dégrossies. La colonne vertébrale penche légèrement vers l’avant. Une danse en dévale la pente. Pour un regard malheureux on peut se voir changer de gélatine. Têtes brûlantes. La vengeance bridée d’un bouton froid a baissé d’un petit cran le front ; il faut que le matériau soit d’abord un amant. Je m’approche. L’odeur dresse entre les garçons et moi un équilibre quasi ascétique ; de manière générale, tous ces corps étirés à l’excès comme les branches d’un parapluie pour faire barrière à ce qui tombe, tous ces corps de travers, cassants, raidis par le sacrifice, donnent en maintes façons priorité aux lignes quasi estampillées de leur entourage de la vingtaine, en lieu et place de toutes séduisantes figures. Dans l’immense Tokyo il y a des corps à crever. »

    Tatsumi Hijikata, Extrait de Matériau du dedans, Traduction Patrick De Vos