Depuis le noir profond – Sean Bonney

Sean Bonney
Depuis le noir profond

Le disque violent au centre du ciel comme les pièces dans ma poche
irradient la même énergie d’enfer. Je le sais parce que ça fait cinq jours
que je suis réveillé. Je sais que ça fait cinq jours que je suis réveillé
parce que quand je suis sorti sur mon balcon ce matin tous les
immeubles de la ville se sont effondrés. Il me semblait qu’il y avait de
quoi s’inquiéter, donc je me suis mis à écrire mon testament. Allons-y.
Mes tasses de café et ma machine à écrire je les lègue à, chais pas, celui
qui gueulera le plus fort. Ma collection de bières vides je la lègue à mon
proprio. Ma bibliothèque je la lègue aux sdf de Kotbusser Tor. Ma
carte bleue pareil. Mon indécision sexuelle je la garde pour moi. Mon
amour je le lègue aux suicidés. Ma toxicomanie je la lègue aux flics,
qu’ils flétrissent mutent et meurent. Ma haine je la garde contre mon
cœur. Mon cœur je le lègue au centre de la terre. Ma peine. Argh. Ma
peine, qui fait la taille de la petite île raciste sur laquelle je suis né, je la
comprime, je la transmute en quelque chose comme la joie sauvage et
collectivement inhumaine des martinets qui tournent autour de la ville
avec une frénésie plus sauvage que, enfin bref. Le cœur c’est tellement
nul comme métaphore. Et l’idée de l’enfouir sous la terre si pathétique
quand je pourrais tout aussi facilement le lancer au centre de la grande
tache rouge de Jupiter. Par exemple. (…)
Ma petite île raciste je la lègue aux monstres et aux poisons. La
dimension fantôme je la lègue à mes amis les plus chers. Mes nœuds et
mes tumeurs je les lègue à ceux qui voudraient former un nouveau
gouvernement, qu’ils comprennent juste ce qu’un système sensoriel
peut avoir de petit, d’enragé et perdu une fois détourné. Ah, fait chier.
Je lègue l’expression de mon visage à mes ennemis. Je lègue la grande
tache rouge de Jupiter aux chômeurs, je suis sûr qu’ils sauront quoi en
faire. Nique mon cœur. Résiste à la mort par l’eau. Par le feu et la
corde aussi. J’ai peur de rien. Putain ce que je vous aime.

in Senna Hoy 2